Le courage au féminin - mai 2011
Auto fictions ATELIER d'ECRITURE

L.M. ELORE

Il venait de me dire que je changeais beaucoup, que cela se voyait de semaine en semaine. Je lui dis, je sens que quelque chose est en train de se passer. Combien de fois ai-je senti mes transformations, la lenteur de mes passages de l'ancien vers le nouvel être que je suis, chaque jour un peu plus relié à la femme libérée. En fait, il cherchait à dire, l'exactitude de la chose, je lui soufflais " quelque chose est en train de s'accomplir en moi " oui de s'accomplir ! Nos regards tombèrent d'accord. " De s'accomplir " dit-il. La chose mystérieuse s'accomplit. Je lui tendis le texte, il s'était proposé d'être mon lecteur. Je sentais son bonheur. Je lui dis, vous verrez comment je balance, je balance, je m'en balance ! Oui, mais vous l'écrivez bien me dit-il !

Supplément d'âme.
L'écriture, cette lumière étincelante d'une rivière de diamants me relie à la source, je le sais.
Regardez ce cœur sauvage, cette femme aux yeux bleus, cheveux noirs, au bout du fleuve dans la vague de sable. La bouche dit le mensonge pour un oui pour un non et pour elle entendez-vous les voies de la désobéissance ? L'aimer. La parole donnée, l'usage du langage, un droit, la rivière parcourt la maîtresse des épices, l'auteure.
Que dire, comme cela, juste une phrase ou deux, qui pourraient nous tenir pour la route.
Merci pour cet après-midi passé ensemble à juxtaposer des mots, des titres de livres, s'écrire, se lire. Et à fleur de peau, sur mon petit vélo fleuri, mustang, je vais.

L'autre histoire. Juste une demi-heure pour écrire cette histoire où l'on croise " L'une et l'autre ", oh là, là, une demi-heure !
Presque trop de temps devant moi pour parler de " L'autre ", celle que j'avais perdue et que j'ai enfin retrouvé.
Là, aujourd'hui, au présent, assise sur cette chaise, à cette table, parmi toutes et tous ceux qui ont choisi cet atelier d'écriture autour du thème " Le courage au féminin ", elles sont là, toutes les deux.
Oser le passage de " L'une " à " L'autre " demande un courage que je décomposerai entre les coups et la rage de vouloir voir advenir, au- delà de la rejetée, de la prisonnière des tombeaux de préjugés, l'autre, la femme libre de dire son désir, sa volonté.
Oser dire, l'enfance ou la citoyenneté n'est rien sans la dignité.
Oser dire le talent nous est possible, à toutes, mais combien faut-il de courage au féminin pour le développer, le diffuser, récolter le fruit de nos efforts.
L'ironie du sort, " L'une " et " L'autre " se sont enfin retrouvées, au cœur de l'œuvre artistique, elles se sont unies, la petite fille éduquée, brimée, malmenée, et, celle éprise de liberté, déconsidérée, rejetée.
Au cœur de l'ouvrage, " L'une " et " L'autre ", ont longtemps cheminé ensemble, puis rassemblées, serrées dans un corps à corps, elles ont envie de faire, sous un soleil ombragé, le combat gagné, l'œuvre reconnue, une bonne sieste celle du repos des guerrières. L'une et l'autre conciliées, apaisées, corps et âme, cœur à cœur dans leur douce chaleur souriante de leur montée en puissance d'être maîtresse des talents. L'auteure !

Ecrire m'incite à me souvenir de toutes les convergences qui y sont liées. Le courage d'écrire remonte à l'enfance, comme étant l'aboutissement d'un mystère, lire, comment apprendre à lire, ce qui est écrit, était le mystère du mystère et son accomplissement, lire à haute voix.
Un autre mystère me tenaillait dans mon ignorance, mon incapacité, il me paralysa des années durant, quand ma mère forte de ses mots croisés et de son dictionnaire remplissait toutes les cases de ces carrés énigmatiques. " Les mots croisés ". Elle cherchait tous les magazines hebdomadaires, tous les journaux quotidiens pour s'en emparer et s'abstraire du quotidien. Quand je lui demandais, comment elle connaissait toutes ces définitions, elle me répondait, je sais, je cherche, c'est l'habitude, il y a des mots qui reviennent qui se croisent, c'est plus facile. C'était probablement sa manière à elle de ne pas oublier son éducation, son érudition dont elle ne savait plus que faire. Je ne l'ai jamais vue aider à faire mes devoirs.
De mon point de vue, rien ne me prédisposait à écrire, un jour, " Je ".


Je connaissais tout juste les subtilités de la grammaire, il y avait comme une éclipse dans mon cerveau.
Alors que j'étais jeune infirmière, sur mon scooter, dans ma ville de liberté, l'idée de l'écriture me taraudait, oui, c'est sûr, j'avais déjà des choses à dire mais si je les écris, ce sera sans ponctuation me disais-je, puis le temps filait sans obligation à dire. Je me contentais de photographier au polaroid, les dames âgées que je venais de coiffer et à qui je trouvais une beauté immense dans leur grand âge, assises au fauteuil, souvent tout près de la fenêtre, un coin de ciel, une vue sur la rue, les publicités changeantes, pour horizon.
Je pris tardivement conscience lors du détour par les études d'histoires et arts plastiques, que je ne savais pas faire une introduction, pas faire une conclusion, pas dégager une problématique et que dans ce cas ma valeur avoisinait le nul malgré ma bonne volonté, à acquérir des connaissances et développer ma raison.
Dès lors, ma fille m'enseigna les éléments des questionnements pour dégager la problématique dans l'introduction, me disant d'aller où je voulais e n venir dans la conclusion. Puis, chemin faisant, réfléchir, penser, développer en argumentant, aller de " l'une " à " l'autre ", le début et la fin en gardant présente à l'esprit, l'ouverture finale, qui permet la croissance de la pensée.
Ce fut mon premier véritable apprentissage intellectuel de la chose mystérieuse. Toutefois, la syntaxe quant à savoir où se plaçaient les compléments circonstanciels, les accords de l'être et l'avoir, les ponctuations, les exceptions, c'est encore un mystère que j'élucide chaque jour un peu plus.

Puis en janvier 2009, poussée, à regarder l'ensemble de mes œuvres peintes et photographiques, comme une rivière souterraine accompagnant dans le silence du chant de l'oiseau, martelée, tel un lancé de mots, l'écriture s'est imposée.
L'écriture veut me faire parler, dire comment ma vie d'artiste a pris place dans ma vie ordinaire, de mère, d'infirmière auréolée, de jeune femme déjà au bout du rouleau, à la quarantaine approchant et dans quelles conditions, j'y suis confrontée.
Dire combien le courage au féminin est nécessaire pour peindre, écrire, dire.
Sans oublier de poser la question, que faire, concernant l'inégalité de traitement en droits et e n actes des talents et les compétences minorées des femmes dans la sphère professionnelle et publique, dévaluant ainsi leur accès à l'autonomie.

"Je suis arrivée, de l'autre côté du boulevard, e n 1999, cela fut un dépaysement total. Le désert. Beaucoup de monde. La blédina. Le gazon devant le jardin d'enfants, un vrai balai-brosse, la terre battue et la zone. La zone, la poubelle de la rue. Pas une seule fleur. La misère. Dans la cour, de notre immeuble, un seul vélo bleu vert ou jaune de la couleur du chien de Francis Bacon exposé à la Tâte à Londres, un amour infini me lia à ce chien qui se mord la queue, seul au milieu d'une place désertique. Je venais juste de l'autre côté, plus à l'intérieur de la ville, deux kilomètres à vol d'oiseau. Je n'étais pas venue comme cela en touriste.
Non je venais après avoir connu l'effroi et les peurs qui engrangent la fuite. Je pensais retrouver une vie et une autonomie. Quand je pense à toutes mes naïvetés ! J'ai proposé mes services. Je n'ai trouvé que des ennuis. C'était une terre de relégation. Combien, je fus esseulée, livrée aux contrariétés.
Un jour, j'ai eu vent d'une inauguration de projet, dans la zone urbaine, mais pas vraiment dans la cité où je suis assignée. Un homme, portant chapeau de paille, est venu vers moi et m'a dit en me regardant, " Ils ont ratissé large ", une femme, style bourgeoisial, essaya de m'entraîner à témoin vis-à-vis de celui qui avait la parole, me disant, "Il a bu". Je ne comprenais même pas leurs luttes de pouvoirs, l'intérêt de ceux qui souffrent était absent. Je découvrais les relations de l'Espace Public participatif à dominante masculine.
Contre vents et marées, une traversée, c'était le défi, montrer que des choses étaient possibles, il fallait les concevoir. J'étais juste une artiste. Une artiste qui osait expérimenter ses idées, dans un quartier en très grandes difficultés relationnelles. Entraves que je considérais plus grandes que les miennes qui étaient déjà immenses. A tort ou à raison. Une abnégation. A chaque passage certains me demandaient si j'avais mon passeport. C'était révoltant ou humiliant ou un humour blessant, je ne sais lequel. Je fus épuisée et harcelée, du seul fait, d'être une femme par les archétypes puissants venant des deux côtés.
Je n'avais rien oublié de la jeune fille des années 68. J'étais aussi une femme observée. Les mères mettaient leur confiance e n moi. Le bonheur des uns ne faisait pas le bonheur des autres. Ma lucidité voyait tout et il n'y avait personne à qui le confier, surtout qui l'eut crû et l'aurait pris en responsabilité.
J'ai entendu que j'étais une femme qui mangeait à l'heure de son choix. J'étais une femme qui rentrait et sortait quand elle voulait. En fait, j'ai découvert ma liberté assumée et exercée malgré toutes les peurs. Puis avec le mauvais temps international. Je me suis éloignée. J'allais dans un autre quartier que je connaissais bien. Mais j'étais loin de chez moi. Puis les chevilles fatiguées, j'ai décidé de vivre chez moi, j'ai profité de me couper du monde, de prendre la vie de l'Ermite et pour ne pas dépérir, peindre devint l'épanchement des couleurs des blues de mon âme. Mes émotions dans leurs vérités s'étalaient sur la toile. Le trop plein. L' impensable à contenir sans vouloir mourir. Ma foi m'a sauvée et j'ai découvert, la citoyenneté n'est rien sans la dignité. Dignité où es-tu donc allée ?
D'un retour de province, la tension palpable était au bord de l'explosion, je n'en pouvais plus. La dichotomie ambiante m'effarait. Certains, ailleurs, ne pensaient qu'à l'avancement de leur carrière et étaient sourds et aveugles. Que faire ? J'ai pris le parti des règles de prudences. Nos visions de la réalité n'étaient pas les mêmes. IL y avait ceux qui y vivent et ceux qui écoutent de très loin les échos de ce qu'on répète sans savoir ou voir. Attachée sans espoir, ni issue, une question vint à moi, pourquoi tant de souffrances ? Pourquoi à moi ?
Un jour, j'ai demandé de l'aide, une oreille tendue, une écoute particulière à un tel délaissement et l'espoir d'une construction pour sortir de l'impasse. Se relier, être relié à d'autres êtres qui veulent bien me relier à eux. Est-ce si simple ou compliqué ? Les courants contraires, machistes, misogynes auxquels je ne pouvais échapper et devant qui je refusais de capituler me refoulaient plus loin et je devenais une perdue de vue. Il a fallu longtemps, pour que je comprenne, pourquoi un tel délaissement. M'effondrer, je ne pouvais faire ce plaisir. Puis, un soubresaut, reprenant ma vie en main, la confiant aux bons soins, aux regards bienveillants, ma rédemption prenait forme, cherchant le trésor caché. Ma dignité. J'ose le dire.
Un pont intérieur, retrouver et maintenir comme une orchidée dressée ma dignité chérie, fit de moi une jardinière en droit. Le temps passait, je m'accrochais à mon intégrité d'être, celle que je suis vraiment. J'avançais dans un balancement chaloupé, ma vulnérable démarche, j'y arrive, je n'y arrive pas. Dans ces paradoxes éphémères et véritables qui vous maintiennent au centre de votre vie.
Aujourd'hui, femme de ma génération, produit de mon éducation, de mes cultures et de mon époque, je profite de mes expériences, hors des sentiers battus, afin de dire par mes autofictions, les récits de mes antigonelles.
J'écris. L'écriture, c'est spécial, c'est ma satisfaction et l'exaltation du raffinement de l'esprit. Un pouvoir dénonçant les suprématies du machisme.
Un fleuve, une rivière qui descend éclaboussante et rutilante de la montagne, de la colline juste devant le soleil pour dire la vie est un flux, une tranquillité et une force intérieure. Vous étant posé sur votre base, un auditoire.
Je le dis. Le théâtre est-il un lieu où se dit la tragédie et la promesse de la vie ?