Le bled urbain - décembre 2010

L.M. ELORE

"Je suis arrivée, de l'autre côté du boulevard, e n 1999, cela fut un dépaysement total. Le désert. Beaucoup de monde. La blédina. Le gazon devant le jardin d'enfants, un vrai balai-brosse, la terre battue et la zone. La zone, la poubelle de la rue. Pas une seule fleur. La misère. Dans la cour, de notre immeuble, un seul vélo bleu vert ou jaune de la couleur du chien de Francis Bacon exposé à la Tâte à Londres, un amour infini me lia à ce chien qui se mord la queue, seul au milieu d'une place désertique. Je venais juste de l'autre côté, plus à l'intérieur de la ville, deux kilomètres à vol d'oiseau. Je n'étais pas venue comme cela en touriste.
Non je venais après avoir connu l'effroi et les peurs qui engrangent la fuite. Je pensais retrouver une vie et une autonomie. Quand je pense à toutes mes naïvetés ! J'ai proposé mes services. Je n'ai trouvé que des ennuis. C'était une terre de relégation. Combien, je fus esseulée, livrée aux contrariétés.
Un jour, j'ai eu vent d'une inauguration de projet, dans la zone urbaine, mais pas vraiment dans la cité où je suis assignée. Un homme, portant chapeau de paille, est venu vers moi et m'a dit en me regardant, " Ils ont ratissé large ", une femme, style bourgeoisial, essaya de m'entraîner à témoin vis-à-vis de celui qui avait la parole, me disant, "Il a bu". Je ne comprenais même pas leurs luttes de pouvoirs, l'intérêt de ceux qui souffrent était absent. Je découvrais les relations de l'Espace Public participatif à dominante masculine.
Contre vents et marées, une traversée, c'était le défi, montrer que des choses étaient possibles, il fallait les concevoir. J'étais juste une artiste. Une artiste qui osait expérimenter ses idées, dans un quartier en très grandes difficultés relationnelles. Entraves que je considérais plus grandes que les miennes qui étaient déjà immenses. A tort ou à raison. Une abnégation. A chaque passage certains me demandaient si j'avais mon passeport. C'était révoltant ou humiliant ou un humour blessant, je ne sais lequel. Je fus épuisée et harcelée, du seul fait, d'être une femme par les archétypes puissants venant des deux côtés.
Je n'avais rien oublié de la jeune fille des années 68. J'étais aussi une femme observée. Les mères mettaient leur confiance e n moi. Le bonheur des uns ne faisait pas le bonheur des autres. Ma lucidité voyait tout et il n'y avait personne à qui le confier, surtout qui l'eut crû et l'aurait pris en responsabilité.
J'ai entendu que j'étais une femme qui mangeait à l'heure de son choix. J'étais une femme qui rentrait et sortait quand elle voulait. En fait, j'ai découvert ma liberté assumée et exercée malgré toutes les peurs. Puis avec le mauvais temps international. Je me suis éloignée. J'allais dans un autre quartier que je connaissais bien. Mais j'étais loin de chez moi. Puis les chevilles fatiguées, j'ai décidé de vivre chez moi, j'ai profité de me couper du monde, de prendre la vie de l'Ermite et pour ne pas dépérir, peindre devint l'épanchement des couleurs des blues de mon âme. Mes émotions dans leurs vérités s'étalaient sur la toile. Le trop plein. L' impensable à contenir sans vouloir mourir. Ma foi m'a sauvée et j'ai découvert, la citoyenneté n'est rien sans la dignité. Dignité où es-tu donc allée ?
D'un retour de province, la tension palpable était au bord de l'explosion, je n'en pouvais plus. La dichotomie ambiante m'effarait. Certains, ailleurs, ne pensaient qu'à l'avancement de leur carrière et étaient sourds et aveugles. Que faire ? J'ai pris le parti des règles de prudences. Nos visions de la réalité n'étaient pas les mêmes. IL y avait ceux qui y vivent et ceux qui écoutent de très loin les échos de ce qu'on répète sans savoir ou voir. Attachée sans espoir, ni issue, une question vint à moi, pourquoi tant de souffrances ? Pourquoi à moi ?
Un jour, j'ai demandé de l'aide, une oreille tendue, une écoute particulière à un tel délaissement et l'espoir d'une construction pour sortir de l'impasse. Se relier, être relié à d'autres êtres qui veulent bien me relier à eux. Est-ce si simple ou compliqué ? Les courants contraires, machistes, misogynes auxquels je ne pouvais échapper et devant qui je refusais de capituler me refoulaient plus loin et je devenais une perdue de vue. Il a fallu longtemps, pour que je comprenne, pourquoi un tel délaissement. M'effondrer, je ne pouvais faire ce plaisir. Puis, un soubresaut, reprenant ma vie en main, la confiant aux bons soins, aux regards bienveillants, ma rédemption prenait forme, cherchant le trésor caché. Ma dignité. J'ose le dire.
Un pont intérieur, retrouver et maintenir comme une orchidée dressée ma dignité chérie, fit de moi une jardinière en droit. Le temps passait, je m'accrochais à mon intégrité d'être, celle que je suis vraiment. J'avançais dans un balancement chaloupé, ma vulnérable démarche, j'y arrive, je n'y arrive pas. Dans ces paradoxes éphémères et véritables qui vous maintiennent au centre de votre vie.
Aujourd'hui, femme de ma génération, produit de mon éducation, de mes cultures et de mon époque, je profite de mes expériences, hors des sentiers battus, afin de dire par mes autofictions, les récits de mes antigonelles.
J'écris. L'écriture, c'est spécial, c'est ma satisfaction et l'exaltation du raffinement de l'esprit. Un pouvoir dénonçant les suprématies du machisme.
Un fleuve, une rivière qui descend éclaboussante et rutilante de la montagne, de la colline juste devant le soleil pour dire la vie est un flux, une tranquillité et une force intérieure. Vous étant posé sur votre base, un auditoire.
Je le dis. Le théâtre est-il un lieu où se dit la tragédie et la promesse de la vie ?